Chronique Sociétale 1_2024

Les numéros en italiques renvoient aux titres des documents qui seront prochainement publiés sur le site internet de Contrat Social et réservés aux membres de l’association

Cette année 2024 s’annonce comme spécialement sombre, avec la poursuite de la guerre en Ukraine, la reprise de la guerre en Palestine, les rodomontades de la Chine contre Taïwan et les bruits de bottes en Corée - sans parler des soubresauts africains, des affaires arméniennes, et de bien d’autres sources de conflits. Nous ne pourrons donc pas échapper à quelques remarques sur ces questions. Nous essaierons cependant de prendre de la hauteur avec quelques questions scientifiques (plus exactement, des questions qui se rapportent aux applications des sciences) : l’intelligence artificielle, qui a préoccupé un groupe de travail animé par Cedric Villani (réputé le meilleur mathématicien français), les « deep fakes », une application de l’Intelligence artificielle, enfin la saga du glyphosate, un herbicide dont la réautorisation par Bruxelles a soulevé d’énormes vagues écologiques… Et nous n’échapperons pas à des considérations sur le changement climatique, avec divers points de vue tant sur la réalité du changement que sur les moyens d’y remédier.

Puis nous évoquerons le projet de loi sur l’immigration, qui déchire la classe politique, ainsi que les « résurgences protectionnistes » qui mettent en émoi certains économistes.

Les questions de société intéressent en général les lecteurs de Contrat Social. Nous en aborderons trois ce trimestre : les centres d’intérêt des jeunes gens, la misère des forces armées françaises, et encore une fois, hélas, les progrès du « wokisme ». Enfin, nous terminerons avec quelques considérations économiques : Le retour du protectionnisme, la surréaliste expérience du nouveau président argentin qui veut « dollariser » toute l’économie de son pays, et, pour finir, une plaisante anecdote sur les menées de Diderot auprès de son amie, l’impératrice de Russie, Catherine II.

Les guerres en cours

L’Ukraine

Contrairement à tous les pronostics initiaux, la guerre en Ukraine sera longue. C’est là une évidence pour beaucoup d’entre nous, évidence détaillée dans un article de Rémy Ourdan pour le Monde (2024_1_2): aucune des deux parties n’est en mesure de remporter de succès décisif, aucune ne veut négocier sur la base du statu quo. En outre, cette guerre n’a pas commencé en 2022, comme on le croit, mais en réalité bien avant… elle peut donc durer des années…

Il reste que faire durer cette guerre des années va aussi poser des problèmes logistiques, ne serait-ce que par manque de matériel et de munitions. Il est vrai que l’armée russe s’est montrée très légère dans ce domaine au début de la guerre, laissant des convois entiers en panne d’essence. Mais elle s’est corrigée depuis… et puis, côté Ukrainien, si tous les pays occidentaux ont tout de suite apporté leurs stocks d’armes un peu anciens, ils se font maintenant tirer l’oreille dès lors qu’il faut en fabriquer de nouveaux… On verra !

Une autre approche du problème est apportée par Antoine AjarkovskiCet historien vient de publier un livre « Pour sortir de la guerre. Vaincre l’agression de la Russie contre l’Ukraine et les démocraties », dont The Conversation donne un extrait (2024_1_1). Il défend une thèse intéressante sur les raisons pour lesquelles tout le monde s’est trompé sur cette guerre, d’abord en refusant de croire à son imminence, ensuite en s’attendant à une conclusion rapide. C’est que tant les états-majors que les citoyens ordinaires sont trop imprégnés de Machiavel, qui réduit la politique à une affaire de « réalisme », sans liens directs ni avec la métaphysique ni avec l’éthique. Or Poutine est un pur idéologue (autrement, il n’aurait sûrement pas songé à renforcer l’OTAN, ni créé une telle vague anti-russe en Ukraine !). Ses comportements sont donc imprévisibles, et échappent à toute prévision. Il faut donc s’attendre à de nouveaux développements, qui risquent de ne pas arranger les affaires des Russes, pas plus que celles des Ukrainiens…

Espérons que cette approche est elle-même erronée …

La Palestine

L’évolution de la situation en Palestine relève d’une logique similaire : comment, aussi bien le Hamas que les dirigeants israéliens ont-ils pu croire que seule la force brutale réglerait leurs problèmes ? Et que les idéologies, tant islamiste que juive, parviendraient à triompher complètement l’une de l’autre ?  C’est la question que se pose Elie Barnavi (ancien ambassadeur d’Israël en France) dans un article du Monde (2024_1_3). L’auteur ne se risque pas à des pronostics pour la suite. Mais il constate que « le rêve de Benyamin Nétanyahou de s’entendre avec l’Arabie saoudite sur le dos des Palestiniens a du plomb dans l’aile. » … Hélas, qui vivra verra …

Les questions scientifiques

            L’évolution des sciences n’a jamais autant préoccupé la presse que ces derniers temps. Hélas, trop souvent, il ne s’agit pas de science véritable, mais de fantasmes autour de la science, tantôt créditée de savoirs qu'elle n’a pas, tantôt perçue comme un danger dramatique contre lequel il faut se défendre … C’est le cas, d’abord, avec « l’intelligence artificielle ».

L’intelligence artificielle

Beaucoup de gens sont persuadés que « l’intelligence artificielle » va supplanter l’intelligence humaine, nous asservissant à la dictature des robots. De fait, il peut être stressant de poser une question un peu pointue à ChatGPT et d’en obtenir une réponse très mesurée, rédigée dans un français élégant (ou n’importe quelle autre langue !). Comment une machine peut-elle aboutir à une pareille perfection ?  Et surtout, quelles conséquences cela peut-il avoir sur l’évolution de la Société ? Ce sont là les questions que se posent beaucoup de gens.

Hélas, ce n’est pas à ces dernières que répond le long rapport d’une commission présidée par Cédric Villani (le « meilleur mathématicien français » …). Il se concentre sur quelques pistes à explorer pour que notre pays joue son rôle dans cette affaire (2024_1_7.)  Cependant, les réponses désirées se trouvent au moins partiellement dans la synthèse de ce rapport…

De fait, il considère que le premier et le plus urgent des domaines à explorer se trouve dans les données. Et, en effet, les réponses de Chat GPT ne sont au fond que des résultats de recherches sur Google, juste bien mises en forme. Dès lors, l’IA (l’intelligence artificielle) ne constitue nullement une percée majeure, mais juste une habile mise en forme de l’existant. L’IA, en réalité, n’invente rien, mais le présente habilement. Il n’en demeure pas moins que la façon d’emballer l’information n’est pas si neutre que cela, et cela pose des problèmes « éthiques » que le « rapport Villani » propose de régler par un « comité d’éthique » … Un comité de plus !

Or l’éthique nous dit la sagesse populaire, c’est le nom donné à la morale par ceux qui n’en ont pas… On verra si, cette fois, la sagesse populaire aura raison… Mais après tout, le problème est sensiblement le même avec n’importe quel organe de presse…

Les deep fakes

De fait, les « deep fakes » (nouvelles parfois surprenantes destinées à tromper les décideurs ) n’ont pas toujours besoin de l’IA pour se développer…ainsi cette vidéo parue sur divers réseaux sociaux, montrant le président Ukrainien en train de recommander à son peuple de capituler devant Poutine… Nicolas Beuve, un doctorant en informatique publie dans The Conversation (2024_1_9) un intéressant document sur les techniques utilisées pour les détecter : par exemple, en face d’une vidéo, vérifier que le principal orateur cligne des yeux de temps à autre : car personne ne cligne jamais des yeux, de sorte que l’absence du phénomène est un indice sûr de vidéo trafiquée…

Les « deep fakes » sont un fléau sur Internet, et même ailleurs : il y a dans l’Histoire pas mal d’exemples de manipulation d’information ayant abouti à des catastrophes inattendues pour l’un ou l’autre des camps en présence… La nouveauté, à l’heure actuelle, c’est que les fausses nouvelles passent par Internet, dont il convient évidemment de se méfier…

La saga du glyphosate

La « saga » du glyphosate illustre assez bien le propos précédent. Le glyphosate, on le sait, est un « herbicide » - un produit qui possède la propriété de tuer certaines plantes communes. Il est (ou plutôt, « était") très communément utilisé pour détruire les « adventices » dans les allées des jardins, mais aussi et surtout, dans les champs semés avec des plantes agricoles « classique » comme le blé ou le maïs. Naturellement, le blé ou le maïs désherbés au glyphosate devraient périr sous l’action de cette substance s’ils n’étaient pas immunisés grâce à un caractère génétique de « résistance au glyphosate ». Ce gène de résistance au glyphosate est tout à fait « naturel » (c’est ce qui fait qu’il reste toujours quelques adventices survivants dans un champ désherbé avec ce produit), mais n’existe pas toujours dans les variétés cultivées. D’où la nécessité, pour utiliser cette méthode de désherbage, de ne semer que des plantes « génétiquement modifiées » pour être « résistantes au glyphosate ».

Ce doublon de mots clés - « plantes génétiquement modifiées » et « pesticide » - a suscité la colère de pseudoscientifiques, vents debout contre ces méthodes « artificielles » donc, évidemment, « dangereuses ». André Heitz, dans Contrepoint (2024-1-8), parle d’un « Lyssenkisme officiel » (on sait que Trophim Lyssenko, désireux de plaire à Staline dans les années1930, avait développé des théories génétiques fantaisistes à opposer à la « science bourgeoise », théories grâce auxquelles l’Union soviétique était devenue la risée de tous les généticiens.). De fait, personne n’a jamais pu démontrer que le glyphosate était plus « dangereux » que la viande rouge (deux produits qualifiés de « cancérigènes probables », par certaines agences sans même qu’on n’ait jamais pu mettre en évidence la survenue anormale de cancer chez les gens concernés).

Heitz continue du reste assez longuement sa démonstration sur le caractère « faussement scientifique » de très nombreuses publications sur la question de la toxicité du glyphosate, accusé maintenant (depuis que la toxicité directe ne semble vraiment plus possible à soutenir) de perturber les fonctions reproductives. Il fait l’historique des débats sur la question dans les cercles politiques français et européens. Mais la leçon essentielle reste bien sûr l’incrustation de fables pseudoscientifiques dans le débat public…et c’est là quelque chose de très dangereux, intelligence artificielle ou pas…

Les questions climatiques

            Les questions climatiques trouvent tout naturellement leur place après cette évocation de quelques questions scientifiques, puisque ce sont des scientifiques qui les ont portées sur le devant de la scène médiatique. Cinq documents semblent pouvoir attirer l’attention des membres de Contrat Social :

Le Monde (24_1_13) signale (ce qui est original pour ce périodique !)  une publication de « Notre planète info » qui détaille les arguments « climatosceptiques ». En fait, personne ne nie que le climat se réchauffe.   Mais divers scientifiques et non des moindres (Vincent Courtillot, Claude Allègre, et d’autres membres de l’Académie des Sciences) considèrent que l’influence des émissions de « gaz à effet de serre » (CO2, méthane, et d’autres, appelés « GES ») est fortement exagérée dans les modèles du GIEC, alors que celle des variations de la position de la Terre par rapport au Soleil est sous-estimée. Bien évidemment, s’ils ont raison, toutes les mesures mises en avant par les médias pour conjurer cette évolution catastrophique n’auront pas d’autres conséquences que de rendre la vie impossible aux citoyens de base.

        Le Monde - une fois n’est pas coutume - est très prudent dans cette affaire, et prend bien soin de faire apparaître tous les éléments de la discussion, insistant en particulier sur le fait que « corrélation n’est pas causalité ». Le document mérite d’être lu !

En même temps, la conviction du rôle des GES est devenue générale dans l’opinion mondiale, si bien que toutes les actions supposées diminuer ce réchauffement sont organisées autour de la réduction des émissions de GES. Pour cela, sauf à revenir au Moyen-Age, il faut trouver des sources d’énergie alternatives aux « énergies fossiles » (charbon et surtout pétrole).

De ce point de vue, on peut songer aux éoliennes, qui captent l’énergie du vent pour en faire de l’électricité. Dans Commentaires (2024_1_11), Marcel Boiteux, ancien directeur d’EDF, et célèbre économiste, est vent debout (c’est le cas de le dire) contre cette solution. Contrairement à beaucoup, il ne s’appuie pas pour cela sur l’esthétique, mais sur l’efficacité du système : les éoliennes produisent de l’électricité de façon intermittente, et font généralement défaut justement lorsque le temps est froid et calme, au moment où l’on en a le plus besoin. Cela implique la nécessité de les doubler par des centrales à charbon ou à gaz naturel qui resteront au repos une grande partie du temps, ce qui est économiquement absurde et coûteux.

Une autre piste est de développer le nucléaire. Antoine de Ravignan, dans Alternatives économiques (2024_1_15) s’oppose à cette solution, en dépit de la « déclaration de Dubaï » par laquelle 22 pays promettent de tripler la capacité de production d’énergie nucléaire d’ici 2050 dans le monde. Ravignan considère la chose impossible, car demandant des efforts gigantesques à des pays qui ne sont pas équipés pour cela. Mais ces mêmes pays n’auront-ils pas aussi de grands obstacles à vaincre pour développer des éoliennes ? Et leurs ressortissants accepteront-ils si facilement de réduire leur consommation énergétique ? Et les risques associés aux « énergies alternatives », quoique  moins spectaculaires que ceux associés au nucléaire, ne sont-ils pas aussi grands ? Il se peut que les craintes ainsi exprimées par de Ravignan ne se matérialisent pas !

De toute façon, il faudra trouver les moyens d’utiliser cette nouvelle énergie électrique par des appareils qui, à l’heure actuelle, ne sont pas faits pour cela. Or ce n’est pas évident, comme le montre par exemple Laurent Castaignède, dans Ouest France (24_1_14) . Cet auteur souligne tous les obstacles à vaincre pour remplacer les voitures à essence actuelles par des voitures électriques : manque de métaux rares pour les batteries, souci des possesseurs de voitures « classiques » de conserver ou de revendre leur ancienne voiture  sans la détruire, sottise des gens qui utilisent des voitures de grande taille pour véhiculer une seule personne… Peut-être l’auteur est-il exagérément pessimiste,  mais il met le doigt sur des difficultés réelles…

Enfin, une autre alternative serait de conserver les moteurs à explosion actuels avec un carburant produit à partir d’électricité « décarbonée ». La chose est techniquement possible, en fabriquant du méthane ou même des carburants liquides à partir de CO2 retiré de l’atmosphère, et d’hydrogène obtenu par électrolyse de l’eau. C’est la solution étudiée par Michel Gay dans Contrepoint (24_1_12). L’auteur, ici encore, est sceptique : on n’arrivera jamais à ce que ce procédé soit moins cher que le pétrole, qui est tout de même virtuellement gratuit ! Il n’en demeure pas moins que ce procédé permettrait de conserver tous les moteurs à explosion et les appareils de chauffage actuels, tout en remplaçant les énergies « fossiles » polluantes par de l’électricité, qu’elle soit d’origine nucléaire, ou provienne d’autres sources.

Les réflexions précédentes montrent donc à la fois la nécessité, et toute la complexité de la « transition énergétique ». Peut-être cela pourrait-il être un sujet de réflexion pour Contrat Social ?

La loi immigration 

Dans un tout autre ordre d’idée, il faut dire un mot des débats de la « loi immigration » qui a suscité beaucoup de documents ce dernier trimestre (et qui, maintenant qu’elle est votée, ne semble plus intéresser personne !). On se basera pour cela sur une austère revue éditée par des anciens de l’école de la statistique, Variance ( 2024_1_10), qui publie ce semestre une étude de Gérard Bouvier sur les tenants et aboutissants de l’immigration en France.     

Il montre d’abord toute l’hétérogénéité de la population des immigrés de première ou seconde génération, opposant en particulier les « migrants économiques » et les « demandeurs d’asile ». L’effectif total des populations d’origine étrangère en France est de l’ordre de six millions de personnes, et, de façon surprenante, il reste assez constant. Il est fait de « migrants économiques », de « migrants familiaux » et de « demandeurs d’asile ». On accorde en général beaucoup d’importance à ces derniers, qui sont loin d’être les plus nombreux et qui sont souvent en France depuis longtemps. Ils représentent quelque chose de l’ordre de 600 000 à 700 000 individus, soit une toute petite fraction du total. Les migrants « familiaux » ou « économiques » sont beaucoup, plus nombreux, et posent en général moins de problèmes. En réalité, 90% des immigrés sont en situation régulière.

Contrairement à une idée reçue, l’immigration économique, d’une façon générale, ne ralentit pas la croissance, bien au contraire. Cependant, son effet positif sur la croissance est d’autant plus fort que les migrants sont mieux formés. De ce point de vue, la France accueille plus souvent du « bas de gamme » que des gens formés. Il y aurait donc lieu de faire subir un examen de culture générale aux candidats à l’immigration dans notre pays …Plus prosaïquement, on pourrait essayer d’accélérer les formalités d’admission aux candidats à l’immigration pouvant justifier de l’existence d’une entreprise souhaitant les embaucher…       

Il semble en tous cas que le débat qui se focalise sur les migrants irréguliers soit largement peu pertinent, et que l’attention aux migrants « économiques » mériterait d’être renforcée. Cependant, l’auteur ne parle pas du phénomène culturel, et de l’emprise de l’Islam sur beaucoup d’immigrés. Or c’est sur ceux-là que se concentre l’intérêt du public. Celui-ci, largement libéré des contraintes liées à la religion chrétienne, voit d’un très mauvais œil l’arrivée et la domination prochaine d’une nouvelle religion encore plus formelle et plus exigeante que la précédente…  Il est dommage que notre auteur de ce jour passe ce problème sous silence.

Questions de société  

On s’intéressera ici à trois sujets d’habitude plus ou moins ignorés :

Les centres d’intérêt des jeunes

Le lectorat de Contrat Social n’est pas jeune en général. Pourtant, il faudrait organiser la relève. Mais quels sont les sujets susceptibles d’intéresser les jeunes ? Arnaud Mercier, professeur de « communication » à l’université de Panthéon Assas publie une étude sur le sujet dans The Conversation ( 2024_1_17) . En vérité, l’impression qui se dégage de ce document est qu’il n’y a pas de « fossé générationnel » en la matière, ce qui constitue une bonne nouvelle pour ceux qui voudraient ouvrir Contrat Social aux plus jeunes. 

La misère des forces armées

On parle rarement de la situation des forces armées de notre pays. C’est une conséquence de la longue période de paix qui nous sépare de la guerre d’Algérie. Pourtant, avec les guerres en Ukraine et en Palestine (pour ne parler que des points les plus chauds), le moral des troupes pourrait ne pas être indifférent. Hélas, il est au plus bas du fait de la baisse des effectifs, et de la longue période pendant laquelle le budget des armées aura été la « variable d’ajustement » des budgets publics. C’est du moins ce que dit un article de l’IREF (Institut de Recherche Economique et Fiscale), qui compare en outre la force de dissuasion nucléaire à la « ligne Maginot » de la cinquième république…  Assurément, cela mérite réflexion, même si, curieusement, le document ne parle pas des déboires des armées françaises en Afrique…

Le « wokisme »

Enfin il faut encore dire un mot de l’idéologie Woke, qui n’a certes pas en France le même poids qu’aux USA, mais qui se développe dans pas mal d’universités, à commencer par Sciences Po. Un article de Pierre Valentin dans Contrepoint (2024_1_16)   sonne l’alarme, qu’il faut peut-être prendre au sérieux, même en tenant compte de l’orientation résolument à droite du périodique en question. C’est que, chez les jeunes, le « wokisme » est en train de prendre la relève du « marxisme » à la mode de mai 1968 - un marxisme qui avait peu de rapports avec l’œuvre de Karl Marx, mais qui a enflammé toute une génération.  Le wokisme pourrait faire de même, projetant les jeunes dans un monde idéal fantasmé et sans doute, en pratique, dévastateur.

L’économie

La « dollarisation » de l’Argentine

Le nouveau président de l’Argentine, Xavier Milei, (appelé « el loco », le fou, par ses opposants) vient de décider d’une expérience en vraie grandeur presque sans précédent (il y a eu un précédent, celui de l’Équateur, en 2000, mais l’Équateur est un petit pays, qui n’a rien à voir avec l’Argentine…) : supprimer la monnaie nationale, et la remplacer par le dollar. Cette opération était justifiée par le fait que, depuis plus de 40 ans, l’inflation en Argentine a rarement été inférieure à 100% par an, et quelques fois très supérieure. L’opinion publique était donc très frustrée du fait de devoir tous les matins demander « c’est combien aujourd’hui ? » en montant dans un autobus…  Reste que l’opération ne manque pas de panache, et empêchera le gouvernement d’utiliser la « planche à billets » pour financer son déficit… François Meunier, dans la revue Variance (2024_1_20)  (Variance est la revue des anciens de l’ENSAE, l’école de la statistique) détaille les difficultés que va susciter cette innovation, dont il n’est pas sûr qu’elle ne provoque pas une dramatique récession dans le pays. D’un autre côté, d’autres analystes estiment que, au contraire, le fait de disposer d’une monnaie « véritable » et fiable va favoriser la croissance et faciliter les exportations en réduisant l'incertitude à laquelle sont confrontés les producteurs…en tous cas, l’initiative de Milei fera progresser la science économique !

De fait, l’expérience est à suivre, en particulier par les pays d’Afrique francophones qui utilisent le franc CFA - lequel est attaché à l’Euro par un taux de change fixe- et soupirent après une monnaie « décolonisée » qui leur soit propre, permettant ainsi de réguler les volumes d’importations et d’exportations par des variations du taux de change, et cela, peut être au prix d’une inflation « Argentine »…

Le retour du protectionnisme

Les droits de douane sont une autre façon d’effectuer cette régulation. Ils ont mauvaise presse auprès des « libéraux », mais sont vus d’un bon œil par beaucoup d’analystes, ce qui a conduit de nombreux gouvernements tantôt à les développer, tantôt à les supprimer. Léo Charles, un spécialiste d’histoire économique, présente, dans The Conversation (2024_1_19), un bref historique des atermoiements des politiques françaises et européennes sur la question.  Il voit l’évolution récente comme un retour au protectionnisme, ce qu’il regrette.

Il est certain que l’analyse économique la plus sophistiquée peut justifier la libéralisation sur la base des avantages mis en évidence par David Ricardo  au début du 19e siècle. Mais il est tout aussi possible de justifier le protectionnisme par la nécessité pour les entrepreneurs de pouvoir planifier leurs investissements sur la base de prix régulés… Ce document mérite donc d’être lu avec prudence…

Diderot et la cour de Russie 

Enfin, pour terminer, et pour l’humour, citons maintenant une curieuse histoire libérale rapportée par Benoit Malbanque dans Contrepoint  ( 2024_1_21) . C’est la triste histoire de Mercier de la Rivière, un intellectuel français, ancien gouverneur de la Martinique. C’était un disciple de François Quesnay, le chef du mouvement « physiocratique ». Il fut recommandé à Catherine II de Russie par Diderot lui-même, pour « libéraliser la Russie ». Il se prit tellement au sérieux que, aussitôt arrivé à St Petersbourg, il se mit à prendre des décisions comme s’il avait été un Premier Ministre en exercice, indisposant fortement de ce fait l’intelligentsia locale. L’impératrice le renvoya en France après quelques semaines, et cela fut la fin du rêve de faire de la Russie un modèle pour la France…

Bien évidemment, de nombreux autres intellectuels ont tenté d’imposer leur marque en Russie comme dans d’autres pays. Cette histoire est un raccourci de ce qui est souvent arrivé… pour le meilleur ou pour le pire ?

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