22/03/15 – L’Opinion : Le nucléaire a la cote, y aura-t-il de l’uranium pour tout le monde?

Par Irène Inchauspé et Muriel Motte

27 mars 2022 à 10h04

· Muriel Motte débute dans une salle des marchés, avant de verser dans le journalisme au Figaro où elle passe plus de 15 ans dans les « pages saumons ». Après trois petits tours chez Marianne, à la Tribune et aux Echos, elle suit l’économie et la finance à L’Opinion. Et pour changer de registre, quelques apparitions dans les films du franco-géorgien Otar Iosseliani

· Passée par Le Point, où elle a traité de sujets économiques et de société, puis par Challenges, où elle était grand reporter, Irène Inchauspé suit pour l’Opinion l'éducation et l’environnement. Auteur avec son collègue Claude Leblanc de C’est pas ma faute, Irène aime les romans policiers et les grands gorilles des montagnes.

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· La France dépend de l’étranger pour son approvisionnement, mais elle dispose d’une réserve maison dans le Limousin       Comme le gaz et le pétrole, l’uranium pourrait tôt ou tard se retrouver au cœur des sanctions et des représailles liées à la guerre en Ukraine. La Russie est un acteur majeur, son allié le Kazakhstan est incontournable.

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· «La vérité se fait jour : la lutte contre le changement climatique rend nécessaire la construction d’un nouveau parc en France. Autour de nous, la Grande-Bretagne, la Pologne et les Pays-Bas font le même choix, la Belgique se pose des questions, l’Italie rouvre le débat», constatait récemment le PDG d’EDF dans les colonnes de l’Opinion. Emmanuel Macron a lancé la construction de six nouveaux EPR en France, avec une option pour huit supplémentaires. La guerre en Ukraine et la nécessité de s’affranchir du gaz russe incitent nos voisins à revoir leurs plans. Le 18 mars, la Belgique a fait volte-face en annonçant prolonger deux de ses réacteurs. Mais quid de la matière première, l’uranium ?

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· Les stocks sont là

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· Bonne nouvelle, la pénurie n’est pas pour demain. «Il y a 15 millions de tonnes de réserve d’uranium dans le monde, déjà identifiées ou dont on sait qu’on les trouvera. En face, la consommation mondiale est de 60 000 tonnes par an, 8 000 pour la France. Si ce niveau est le même pendant les trente ans qui viennent, il sera possible de construire deux fois plus de centrales dans le monde», commente Jean-Paul Bouttes, ex-directeur de la stratégie et prospective d’EDF. La précieuse ressource est localisée sur les cinq continents, pour plus de 40 % dans les pays de l’OCDE. Et pour environ 20 % dans Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). C’est une matière très dense : «Un gramme d’uranium produit autant de chaleur que 2,5 tonnes de charbon ou 1 tonne de pétrole, explique l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, spécialiste des énergies, dans sa BD Le Monde sans fin. Un réacteur nucléaire de 1 GWe occupe une surface de 3 hectares, alors qu’une centrale solaire de même puissance, c’est 1000 hectares».

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· L’Europe doit sécuriser ses approvisionnements

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· Diversifier ses approvisionnements : en matière d’uranium naturel, l’Europe respecte ce sage précepte. En 2020, l’essentiel de ses besoins a été assuré par cinq pays, le Niger (20,3%), talonné par la Russie (20,2%) et le Kazakhstan (19,17%). Puis venaient le Canada (18,36%) et l’Australie (13,27%), loin devant la Namibie (3,8%) et l’Ouzbékistan (2,61 %), précise le rapport annuel d’Euratom supply agency (ESA).

Des contrats à long terme sécurisent, a priori, les livraisons pour les prochaines années. Le taux de couverture, calculé par le ratio livraisons contractuelles maximales/besoins nets des réacteurs, était de 116 % en 2020, il est annoncé à 93 % en 2025. Mais de nouveaux contrats à long terme doivent être signés en permanence car le taux de couverture prévu tombe à 70 % en 2026 puis 57 % en 2029, souligne Euratom.

La Russie est-elle toujours dans la course pour les futurs contrats ? Sa filière nucléaire est essentielle, elle représente aussi 36% du marché mondial de l’enrichissement de l’uranium.Ce secteur n’est pas encore frappé par les sanctions, mais les tensions montent. La question d’un arrêt des exportations russes d’uranium «est à l’ordre du jour», a menacé le vice-Premier ministre, Alexander Novak, il y a quelques jours.

Et la France dans tout ça ?

Le français Orano est l’un des champions mondiaux de la production d’uranium grâce à ses sites miniers sur trois continents. Le Kazakhstan, le Canada, le Niger, la Namibie, la Mongolie font partie du «réseau Orano» qui approvisionne le pays, et l’exploration de nouveaux gisements est constante. Le groupe dispose de réserves représentant une vingtaine d’années de production, ce qui assure une durée au moins équivalente de fourniture à EDF.

Par ailleurs, «il y a aussi les mines du Limousin exploitées autrefois, qu’il serait possible de rouvrir en cas de besoin, ajoute Jean-Paul Bouttes. Certes, l’uranium est aujourd’hui importé, mais la souveraineté ne s’apprécie pas sur ce seul critère. Elle se double de notre capacité à transformer ce minerai en KWh utilisables». A noter que le prix de l’uranium ne représente que 5 % du coût de production de l’électricité française. C’est un atout alors que son cours flambe sous l’effet, notamment, des tensions géopolitiques.

Le recyclage, vecteur d’indépendance

«En ayant développé sur le territoire national les capacités nécessaires à l’enrichissement de l’uranium et au recyclage des combustibles usés, la filière nucléaire a mis à disposition de la nation des réserves stratégiques en uranium», écrit Philippe Knoche, directeur général d’Orano, dans la revue Annales des mines. De 1994 à 2013, EDF a recyclé 4 000 tonnes de combustibles usés dans quatre réacteurs de la centrale de Cruas, «ce qui a permis une économie équivalente d’uranium naturel», précise-t-il.

L’énergéticien a un nouveau programme à partir de 2023, puis ultérieurement sur des réacteurs à 1 300 Mwh en 2027. Cela permettra de passer de 10 % d’électricité nucléaire produite à partir de matières recyclées à 25 %. Et les ingénieurs voient déjà plus loin : «L’objectif est de passer à un stade industriel avec le multi-recyclage du plutonium pour EDF», note Philippe Knoche. Alors, le taux d’électricité nucléaire française issue du recyclage sera supérieur à 30 %. Un grand pas vers toujours plus d’efficacité et d’indépendance énergétiques…

De l’importance des compétences

Miser sur le nucléaire c’est bien, encore faut-il disposer des compétences. Comme relate le journal économique local L’Echo, Thierry Saegeman, le patron de la filiale belge d’Engie, Electrabel, souligne que l’entreprise doit préparer les deux réacteurs Doel 4 et Tihange 3 à tourner une décennie supplémentaire, tout en se chargeant du démantèlement de cinq autres unités. «Avons-nous suffisamment de personnes, d’entrepreneurs et de compétences pour mener cette mission à bien?» s’interroge-t-il.

La France a le même problème de compétences.»Six métiers ont du mal à attirer des jeunes : chaudronnier, mécanicien machines tournantes, tuyauteur, soudeur, contrôleur, électricien industriel. Il va falloir mettre en place les formations pertinentes au bon endroit», commentait récemment Cécile Arbouille, déléguée générale du syndicat professionnel de l’industrie nucléaire (Gifen). La perte de compétences après des décennies sans construire de réacteurs est apparue au grand jour à Flamanville, où la mise au point de l’EPR accumule les retards. Il y a deux ans, EDF a déployé un vaste plan pour y remédier avec, notamment, la création d’une université des métiers du nucléaire et d’une école de formation en soudage.


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