Nucléaire : La panne stratégique

Extrait de L’Opinion , 29/07/2021

Les faits

Lors de sa visite en Polynésie française, Emmanuel Macron a répété son attachement à l’atome, qualifiant le nucléaire de « chance ». D’ici 2023, ce gouvernement, ou un autre, devra décider s’il lance la construction de nouveaux réacteurs pour renouveler le parc français, vieillissant.
Papeete, Le Creusot, même combat. Que ce soit en Saône-et-Loire ou dans l’océan Pacifique, Emmanuel Macron garde sa ligne : « Notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire. » Il l’a dit aux jeunes (dans un entretien à Brut), aux industriels et maintenant aux Français. « Le nucléaire est une chance. »

Surtout quand sur la table, les énergies renouvelables viennent à manquer. Le solaire ? Le mois dernier, le gouvernement a dévoilé un projet de décret visant à moins rembourser l’électricité produite par les panneaux solaires. L’éolien ? Il faut étudier les futures installations « au cas par cas ». Au royaume du décarboné, le nucléaire reste roi.
Il faut dire qu’il coche toutes les cases du macronisme : foi dans le progrès technologique, renforcement de l’indépendance économique française… et croche-patte à la gauche écolo, celle comparée à des Amish.

« En soutenant autant le nucléaire, Emmanuel Macron prend peu de risques. Les Français n’y sont pas massivement opposés et dans la majorité, personne ne milite pour une sortie rapide », observe un député LREM de l’aile verte de la macronie. Les clivages se dessinent à traits légers autour du concept de mix énergétique entre ceux qui soutiennent une croissance rapide de la part d’énergies renouvelables et les autres, plus prudents. Au milieu, le chef de l’Etat leur dit qu’il est d’accord sans fixer de trajectoire précise. A sa ministre de l’Ecologie, Barbara Pompili, de s’accommoder de cette position. « Je doute qu’elle ait apprécié la déclaration présidentielle en Polynésie mais elle n’en dira rien. En devenant ministre, elle savait que la politique nucléaire n’était pas négociable », juge un cadre de la majorité.

Si en façade, le discours sur l’atome est clair, derrière, la mise en œuvre reste floue. Au Creusot, Emmanuel Macron avait esquivé plusieurs grandes questions. Il faut « progresser » sur la gestion des déchets et la sûreté des centrales, avait-il dit, renvoyant la décision de construire de nouveaux réacteurs à 2023. L’écologiste Delphine Batho critique ce flou présidentiel : « Le gouvernement a autorisé EDF à acheter des terrains pour construire de nouveaux réacteurs et dans le même temps renvoie la décision après 2022. »

« Effet falaise ».

La stratégie française est à l’arrêt. « Il n’y a aucun pilote dans l’avion », regrette Brice Lalonde, président d’Équilibre des Énergies et ex-ministre de l’Environnement. Stéphane Piednoir, sénateur LR, coauteur du dernier rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur le nucléaire, s’insurge : « On procrastine, on attend une feuille de route qui n’a jamais été donnée alors qu’il faut dix ans pour construire un réacteur ! » Le sénateur craint un « effet falaise » : le parc existant, dont les installations datent des années 1970-1980, est à renouveler urgemment. L’Autorité de sûreté nucléaire a récemment autorisé une exploitation des centrales sur cinquante ans. Pas plus. Dans ces conditions, si la France désire se décarboner à grande vitesse en échelonnant les coûts de rénovation, elle ferait bien de se dépêcher.
Car la transition écologique exige une électrification massive des usages : transports, chauffage, hydrogène… mais sans charbon, pétrole ou gaz. Le nucléaire résout cette équation même si près de deux tiers des Français pensent à tort que l’atome rejette des émissions de gaz à effet de serre.
Autre conséquence de cette procrastination : la perte d’un savoir-faire industriel national. Thomas Gassilloud, pourtant député de la majorité, le reconnaît : « Il y a eu un temps de latence avec les déboires de Flamanville, on a découvert qu’on avait perdu la maîtrise des soudures. » A l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, la directrice générale adjointe, Karine Herviou, l’explique par les vingt ans qui nous séparent des dernières constructions : « La plupart des professionnels qui ont conçu les réacteurs actuels sont partis à la retraite. » Le député, lui, s’inquiète du manque d’intérêt de la jeunesse qui délaisse les formations. « Il faut leur dire que, grâce à la recherche nucléaire, ils ne sont pas condamnés à vivre en polluant ! », insiste-t-il. La recherche offre, par ailleurs, une porte de sortie à l’épineuse question des déchets radioactifs. En France, leur stockage pourrait arriver à saturation en 2030 ! D’où la nécessité de plancher sur une technologie plus sûre.

Déclin.

En août 2019 cependant, ces espoirs de recherche se sont considérablement amincis. Jacques Chirac avait lancé la construction d’un prototype prometteur : le réacteur de quatrième génération Astrid, capable de recycler le combustible usagé quasiment à l’infini. Mais le projet a été abandonné il y a deux ans. « On a tiré un trait sur une enveloppe d’1,2 milliard d’euros : ça peut paraître beaucoup mais cette innovation aurait permis d’aller vers une production plus sûre avec un rendement amélioré, tandis que le parc actuel a nécessité 80 milliards d’euros. »

A l’heure où la Chine et la Russie émergent, le « fleuron » français, lui, décline. « Les Chinois construiront nos réacteurs de demain », commente amèrement le sénateur Stéphane Piednoir. Et le soutien de l’UE face à ces futurs leaders semble difficile à mobiliser. Les discussions sur la taxonomie européenne patinent justement à cause de certains Etats réticents à qualifier le nucléaire de « durable ». « Le débat est difficile car l’énergie est vue comme une prérogative nationale. D’un côté, l’Allemagne a intérêt à mettre en avant ses énergies renouvelables, de l’autre, la France ne peut brider un atout dont elle dispose déjà », analyse Brice Lalonde. Voilà de quoi animer la présidence française de l’Union européenne dès le 1er janvier prochain.


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