Chronique Sociétale N°3 – 2019

Même envoyée avec retard, cette chronique souffre d’un assez faible approvisionnement en matériel, qu’il s’agisse d’extraits, de verbatims, ou d’autres nourritures intellectuelles. Il est important que les membres de contrat social fassent part de ce qui, à chaque instant, les aura intéressés ou choqués, ou aura suscité en eux une émotion quelconque en relation avec les objectifs de notre association.

Il y aura tout de même eu matière à réflexion. Sur l’actualité, bien évidemment, en raison, à la fois, de l’actualité et du fait que Contrat Social s ’était depuis longtemps intéressé à la question, la réforme des retraites arrive largement en tête des préoccupations. Mais les Gilets Jaunes, dont on pouvait penser que le mouvement s’étiolait, viennent de se rappeler à notre bon souvenir.

Cependant, plusieurs « Extraits » ou « Verbatim » sortent un peu du quotidien : la question des inégalités vient de refaire surface, en particulier du fait de l’attribution du Prix Nobel d’économie à une spécialiste de la chose, en même temps que l’apparition sur le sujet d’un nouveau livre de Thomas Piketty (il fera l’objet d’un commentaire ultérieurement).En même temps, l’évolution de la situation économique mondiale et la permanence de taux d’intérêt « négatifs » ont suscité des réflexions sur la théorie monétaire et le déficit budgétaire. Des questions franchement philosophiques ont été abordées, avec une étude historique sur les vies quotidiennes de Karl Marx et de son ami Friedrich Engel, ainsi qu’une autre sur la pensée de Jean-Jacques Rousseau. Enfin, non seulement l’actualité, mais aussi un déjeuner avec un véritable « écologue » (dans la nouvelle langue moderne, un écologiste est un agitateur politique, cependant qu’un écologue est un scientifique qui étudie l’évolution des relations entre les différentes espèces animales ou végétales dans différents milieux ) ont relancé les réflexions sur le thème de l’écologie. Ces différents sujets vont être discutés maintenant.

Pour finir, il faudra dire un mot des plus récents déjeuners.

I- L’actualité

A)-La réforme des retraites nouvelle version

Nous croyions avoir tout dit sur la réforme des retraites. Mais avec la vague de grèves sur le sujet, les mouvements sociaux de toutes sortes, et les derniers développements des débats sur la question, nous étions loin du compte ! Trois documents importants nous sont proposés :

a) Un verbatim proposé par Arnaud d’Yvoire présente un rapport intitulé « ce que le rapport Delevoye cache aux Français ». Assez technique, ce document fait apparaître de grosses approximations dans les évaluations figurant dans ce Rapport Delevoye : tel rendement ne sera pas 5,5 %, mais 4,95 %, à cause d’une cotisation négligée ; l’âge nécessaire pour toucher une pension de réversion sera augmenté de plusieurs années ; les droits associés aux salaires élevés seront diminués, etc. En particulier, la suppression de tout régime complémentaire semble étrange, alors que tous les autres pays ont des institutions de ce genre.
En réalité, le vrai problème que tente de traiter le gouvernement est celui de l’insuffisance des cotisations pour équilibrer financièrement le système compte tenu de l’évolution de la démographie. De ce point de vue, l’ « âge pivot » (celui qui permet de toucher une retraite pleine, sans bonus ni malus) semble le cœur du problème. Quand au bénéfice global de l’opération, il reste à démontrer.

b) Proposé par Jean-Claude Angoulvant , un extrait d’un témoignage publié dans l’Observatoire des retraites par notre ami Georges Bouverot interrogé par Pierre Chapron. C’est en fait un plaidoyer pour le paritarisme dans la gestion des systèmes de retraites. Pour cette raison, s’il approuve l’idée qui consiste à traiter la retraite comme un « salaire différé », il critique vivement celle de voir l’État tout gérer dans le domaine. Il s’appuie pour cela sur son expérience de directeur du personnel chez Renault, où il a fait l’expérience du rôle régulateur des corps intermédiaires. Il cite pour cela en exemple l’action des syndicats en Mai 68, mais aussi le succès de l’ARRCO, qui a réussi à fusionner 45 régimes différents, et cela, sans casse perceptible, et même, en fait, sans que presque personne s’en aperçoive... Accessoirement, il critique aussi les « plafonds stupides » qui aboutiront à ce que certaines cotisations ne seront pas créatrices de droits, contrairement, du reste, au principe du « un euro cotisé ouvre les mêmes droit » qu’il approuve vivement.

c) Enfin, une importante note de travail par Jean-Claude Angoulvant s’efforce de résumer et d’évaluer les propositions du rapport Delevoye. Celles-ci reposent sur deux idées centrales :
Une gestion nationale centralisée, et l’unification de tous les systèmes actuels. Or c’est justement cela qui est absurde : il n’y a pas d’économies d’échelles à espérer de systèmes de trop grande taille, en même temps que l’on peut observer que des institutions comme l’ARRCO sont finalement plus responsables que des bureaucraties étatiques. Dans ces conditions, on peut craindre de graves dérives dans l’administration du monstre bureaucratique en construction. Il est donc essentiel de revenir aux propositions déjà évoquées dans la précédente note de conjoncture sociétale de Contrat Social , à savoir séparer nettement les rôles du « maître d’oeuvre » d’un côté, et du « maître de l’ouvrage » de l’autre.

Il faut encore ajouter à cela une toute récente et brève note de J.C. Angoulvant qui résume sa position dans les termes aujourd’hui en débat : oui à un système universel, non à une régime unique ! (et il justifie encore cette attitude par le fait que la loi en gestation aboutirait à spolier de leurs réserves ceux des régimes spéciaux dont la gestion aura été la plus prudente.

En fait, il semble que les auteurs de cette réforme aient oublié les deux principes de base du welfare economics : 1) un changement est souhaitable s’il ne rend personne moins heureux, et une personne au moins plus heureux. 2) Si le changement entraîne un bénéfice global , mais ne peut pas se faire sans léser quelqu’un, alors il faut prélever une partie des bénéfices des gagnants pour indemniser les perdants (et c’est toujours possible, si les bénéfices sont plus grands que les coûts). En l’espèce (et contrairement aux assertions du gouvernement) il semble bien que le bénéfice global existe réellement, mais qu’il y ait pas mal de perdants...Une difficulté supplémentaire provient du fait que l’on doit faire des comparaisons sur 30 ou 40 ans, pendant lesquels il peut se passer pas mal de choses, y compris des taux d’intérêt négatifs, comme on va le voir plus loin... ! En dépit de ces obstacles, Il est quand même sans doute dommage de ne pas avoir creusé cet aspect des choses...

Avec les récentes grèves, les discussions se sont rallumées au sein de contrat Social. Jacques Lefèvre, Jean-Claude Angoulvant et d’autres déplorent les dérives du débat public, qui ignore les aspects techniques (et profonds) de la réforme proposée pour se concentrer sur des supputations et, sans doute, beaucoup de fake news. Jacques Lefèvre, dans un bref texte intitulé Réflexions incorrectes d’un ignorant, s’étonne à la fois de la préparation insuffisante de la réforme, et du fait que le débat ne porte pas sur les vraies questions, à savoir la démographie, et l’équilibre public/privé. Jean-Claude Angoulvant appuie cette idée, déplorant le choix de faire passer l’unification totale des systèmes pour un objectif final, alors qu’il ne peut d’agir que d’un moyen.

B) Les gilets jaunes, dernières visions

Les « gilets jaunes » sont une énigme pour beaucoup, d’entre nous : mouvement spontané, qui ne dépend pas ou peu d’un état-major, on ne sait pas vraiment qui ils sont ni ce qu’ils veulent vraiment.

Pour Jean-Jacques Perquel dans un extrait , le paradoxe réside dans le fait que les « gilets jaunes », d’abord bien vus de l’opinion publique, ont finalement lassé celle-ci qui les soutient maintenant beaucoup moins qu’au début, alors même qu’ils ont finalement obtenu bien plus que ce qu’ils demandaient à l’origine.

II - Extraits et Verbatims

A) Les inégalités dans le monde

Naturellement, les revendications des Gilets Jaunes se nourrissent de la stigmatisation des inégalités. Mais qu’est-ce que les inégalités ? Et sont-elles « bonnes » ou « mauvaises » ?

Traditionnellement, la « lutte contre les inégalités » est considérée comme une forme moderne des guerres saintes, en même temps que les inégalités augmentent, et que quelques prophètes libéraux, au contraire, chantent les bénéfices à attendre des comportements d’émulation qu’elles engendrent. Deux extraits concernent ces questions :

a) Jean-Claude Angoulvant propose un extrait d’un ouvrage de François Dubet sur la façon dont, de nos jours, les inégalités sont perçues (car il existe une grande différence entre la perception et la réalité : dans les années 1960, l’INSEE signalait que les Français s’offusquaient d’inégalités qu’ils percevaient beaucoup moins fortes qu’elles n’étaient. C’était le bon temps du parti communiste, lorsque le combat contre les inégalités était enchâssé dans des structures sociales (syndicats, etc..) qui jouaient un rôle à la fois médiateur et consolateur. De nos jours, on assiste à une montée de l’individualisme qui conduit en quelque sorte à une libéralisation de l’activisme en la matière, avec une multitude sous-groupes sociaux qui en combattent d’autres au nom de l’égalité. Et cela, évidemment, explique au moins en partie les gilets jaunes et l’originalité de leur mouvement...

b) Plus profondément, dans un autre document, également proposé par Jean-Claude Angoulvant, Jean-François Delsol se pose la question philosophique de la justification des inégalités. Ici, comme le montre le titre « éloge de l’inégalité » l’auteur observe que le combat contre les inégalités de toutes sortes a pris de nos jours un tour quasiment pathologique. Il prend donc le contre-pied du discours « standard » sur les vertus de l’égalité, et le fait de façon magistrale. Il observe que chaque être humain est différent des autres, ce qui tout à la fois nourrit les échanges et implique des inégalités entre les hommes. Celles-ci sont donc naturelles et souhaitables.

Le propos est cependant atténué par la remarque selon laquelle tout de même, les inégalités « exagérées » ou « non méritées » sont à proscrire. La question est alors de savoir ce que c’est qu’une inégalité exagérée, et comment juger du mérite d’un individu donné. Il ne fait pas de doute que nous sommes ici au cœur du contrat social, et que ces propos devraient donc engendrer des remarques.

B) Intérêts négatifs et monnaie

Un autre souci des derniers mois est la persistance de « taux d’intérêt négatifs » (en réalité, nuls ou peu s’en faut). C’est évidemment une anomalie, et peut-être, l’amorce d’un choc en retour, avec une crise monétaire qui pourrait faire mal.

Cette situation est l’une des conséquences de la gestion de la Réserve Fédérale des
États-Unis : de crainte d’une récession par manque de liquidités, celle-ci a généreusement accordé des crédits en dollars, ce qui a entraîné une baisse des taux dans le monde entier. Mais ne peut-on craindre alors une nouvelle crise économique mondiale, comme en 2008 ou même 1930 ? Deux documents majeurs sur cette question sont à signaler dans les textes à la disposition de Contrat Social :

a) Une mise au point de J.J. Perquel sur la « MMT » (Modern Money Theory)

Cet auteur explique que l’avenir du système monétaire mondial dépend de la validité de l’une ou l’autre de deux théories rivales. Pour la théorie standard actuelle, les taux négatifs ne peuvent pas durer très longtemps. Les spéculateurs, achetant n’importe quoi pour se débarrasser de leurs liquidités, vont nourrir une « bulle », qui ne pourra pas ne pas éclater un jour, lorsque la multiplication des débiteurs en difficulté entraînera la crise majeure redoutée.

Mais la « nouvelle » théorie de la monnaie (la MMT) écarte une telle éventualité, parce que, en particulier, la création monétaire devrait engendrer de l’inflation, ce qui devrait faciliter les remboursements de dettes en valeur nominale, même si cela doit conduire un jour ou l’autre, à l’ « euthanasie des rentiers » (les revenus de ces derniers, étant fixes en valeur nominale, décroissent en valeur réelle en cas d’inflation, au point de les faire mourir faute de revenus).

b) Un contre-document signalé par J. Lefèvre, contribution de Jean Cedelle, un de nos sympathisants, sur le même sujet. Celui-ci, d’abord, remarque la nocivité potentielle des déficits publics (y compris le « vertueux » 3%, un chiffre arbitraire et jamais respecté ) cependant que, en réalité, la dette « hors bilan » (elle n’apparaît pas dans les budgets, mais elle n’en existe pas moins, par exemple avec les retraites, qui constituent des engagements à long terme dont personne ne sait comment ils seront honorés ) s’accroît tous les jours dans tous les États. Par conséquent, si la MMT semble pour le moment tenir assez bien la route, elle repose sur des hypothèses susceptibles d’être dangereuses.

En vérité, cette « MMT » ressemble beaucoup à la théorie keynésienne maintenant traditionnelle, cependant que la théorie qui vient d’être appelée « standard » est en fait une variante de la théorie « néo-classique » à la façon d’un Alfred Marshall. Laquelle des deux représente le mieux le système économique et monétaire réel ? L’avenir le dira ! On notera simplement que l’inflation conduit déprécier les liquidités, et donc à rendre les taux d’intérêt négatifs en valeur réelle, même lorsque leur niveau nominal est positif.

C) Les grands ancêtres revisités

À côté de ces questions malgré tout techniques, et sans doute assez peu excitantes pour beaucoup de gens, les échanges ce semestre ont aussi porté sur des questions bien plus philosophiques. Deux textes de très bonne facture émergent de ces discussions :

1/ D’abord un bref article de Raphaël Enthoven (paru dans le Nouvel Observateur) sur Jean-Jacques Rousseau. C’est en fait une pochade, qui montre comment Rousseau a pu dire tout et le contraire de tout.

Ainsi : « Si vous êtes un ardent républicain, vous êtes rousseauiste et savez, en lecteur du « Contrat social », que le grand homme livre en une célèbre formule l'œuf de Colomb de toute démocratie ( « un échange avantageux ») ... Mais si, à l'inverse, vous avez tendance à considérer que l'État n'est en fait qu'une superstructure destinée à affermir le pouvoir de la bourgeoisie sur les prolétaires (ou des Blancs sur les racisés), vous êtes plus rousseauiste encore, puisque Jean-Jacques est le premier, avant Marx, à présenter l'État (et le droit de propriété) comme l'institutionnalisation de l'inégalité »....Et tout le reste est à l’avenant.

Il faut donc revenir au texte lui-même pour en saisir tout le sel. Cela ne va peut-être pas révolutionner le monde. mais c’est assez réjouissant !

2/ Ensuite, un passage de Michel Onfray sur Karl Marx et sa philosophie. En fait, il s’agit là d’un extrait d’un livre qui vient de paraître, Le crocodile d'Aristote. Une histoire de la philosophie par la peinture. Onfray, ici, bavarde sur le marxisme en commentant un tableau de maître qui représente Marx et son ami Engels prenant le thé ensemble dans un salon bourgeois.
Les origines « bourgeoises » de Marx sont bien connues. Le lecteur ne sera pas non plus surpris par les critiques que Onfray porte contre l’utopie marxiste, à l’origine de tous les malheurs de l’ex-URSS. Il sera sans doute intéressé par ses développements sur les rapports entre la pensée de Marx, celle de Hegel, et même le christianisme.

Par ailleurs, il ne fait pas de doute que Marx, impressionné par l’écho qu’il trouvait chez les « prolétaires », s’est laissé prendre par l’ivresse du pouvoir, et le désir de revanche après les persécutions dont il avait été victime dans sa jeunesse. Et ceci, évidemment, l’a amené à des excès regrettables indignes d’un vrai philosophe. Il n’en demeure pas moins que ses travaux proprement philosophiques ne sont pas toujours sans valeur. De ce point de vue, l’analyse de Onfray est sans doute un peu discutable, et peut être démagogique (tombant ainsi dans le travers qu’il dénonce chez son sujet). En réalité, Marx fut aussi un philosophe de grand talent, qui aura tout de même apporté pas mal de choses même aux « non marxistes » avec sa vision des rapports entre les techniques et les institutions (le matérialisme historique), sa théorie du capital (le capital, c’est du travail accumulé...) etc... En outre, c’était un journaliste de grande classe : le 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte est de ce point de vue un pur chef d’oeuvre. Il est un peu dommage que Onfray n’ai pas mentionné ces aspects du personnage.

Et il est aussi dommage qu’il s’abstienne de dénoncer l’erreur majeure de la pensée de Marx : croire que, une fois la dictature du prolétariat assurée, chacun pourrait consommer « selon ses besoins », sans être le moins du monde contraint par les limites imposées par la Nature. Or c’est bien la rareté - le fait que tous les biens ne sont pas disponibles en quantités illimitées pour qui en a envie - qui rend si nécessaire le fameux Contrat Social.

Il n’empêche : en dépit de ses défauts, ce texte de Michel Onfray apporte pas mal d’idées originales sur le personnage de Karl Marx, et pour cela, mérite quand même un coup d’œil !

D - l’écologie

Le sujet, de toute évidence, intéresse.

Il y a d’abord eu le déjeuner avec Christian Lévêque, un chercheur en sciences écologiques, à ne pas confondre avec un écologiste. Il nous a expliqué que la notion de biodiversité était difficile à quantifier, que, pour toutes sortes de raisons liées à la dynamique des populations, les effectifs des différentes espèces à un endroit donné étaient très variables dans le temps, et que, finalement, il serait bien difficile de disposer d’une nature de laquelle aurait disparu toute empreinte humaine. Tout ceci, évidemment, prend à contre-pied beaucoup de discours irresponsables sur les réseaux sociaux.

Dans le même ordre d’idées, Contrat Social a bénéficié d’une invitation à un colloque de l’association « grands projets 21 » sur le rôle que peut avoir la « chaîne du froid » dans la lutte contre la faim dans le monde, à travers la réduction des pertes évitées par le refroidissement. À vrai dire, il n’y avait pas grand chose de nouveau dans ce colloque : on sait bien que le froid conserve les aliments, et permet d’éviter des gaspillages. Les éviter suffirait-il à résoudre le problème alimentaire mondial ? On peut en douter !

De même, nous avons bénéficié de l’information selon laquelle une lettre avait été envoyée aux membres du Parlement européen par quelque 700 scientifiques de toutes nations pour leur dire que « le réchauffement climatique n’est pas une urgence » , du fait que les prévisions effectuées par les « modèles agro-climatiques » ne semblaient pas se vérifier, et que d’autres causes que les « gaz à effet de serre » d’origine humaine pouvaient très bien expliquer les variations des températures moyennes observées au cours des siècles. Ici encore, il est difficile au non spécialiste de la question (et même au spécialiste lui-même, qui doit toujours s’interroger sur la validité de ses modèles) d’avoir une opinion tranchée...

Mais surtout, deux contributions essentielles méritent d’être mentionnées ici :

a) le « bug humain » : il s’agit d’un verbatim de François Cornevin, l’ouvrage d’un neurologue, Sébastien Bohler, soucieux de rechercher si le merveilleux cerveau dont nous avons hérité de nos lointains ancêtres primates est toujours correctement adapté à la mission qui devrait être la sienne : aider l’Humanité à se perpétuer dans l’avenir.

L’argument de l’auteur est assez simple : notre cerveau est ainsi fait qu’il nous pousse à des actions susceptibles de nous rapporter des « récompenses ». Or les récompenses en question sont le plus souvent liées à des consommations, elles-mêmes génératrices d’effets secondaires nuisibles à la planète... Pire : les plus puissantes des sources de récompenses sont le sexe, et la recherche du statut social. Dans les deux cas, les comportements associés sont de nature à rendre impossible la vie en société. Ainsi, conclut l’auteur : Au terme de ce processus, l’être humain est devenu un danger mortel pour lui-même. Son programme neuronal profond continue aveuglément de poursuivre des buts qui ont été payants pendant une grande partie de son évolution, mais qui ne sont plus du tout adaptés à l’époque où il s’est projeté. Au regard de sa situation actuelle dans un monde globalisé, l’humain est inadapté…L’immense cortex d’Homo sapiens, en lui offrant un pouvoir toujours plus étendu, a mis ce pouvoir au service d’un nain ivre de pouvoir, de sexe, de nourriture, de paresse et d’ego.

Il est impossible de complètement nier l’existence de mécanismes de ce type. Il est vrai que l’auteur, à la fin, donne quelques pistes pour surmonter ces phénomènes indésirables : rééduquer notre cerveau pour lui apprendre la modération, amener notre degré de conscience à un niveau comparable avec notre niveau d’intelligence... et ne pas laisser notre système économique continuer à reposer sur son offre de récompenses frelatées.

Évidemment, tout cela est de nature à nous conduire à un remake de l’URSS, qui, justement, était fondée sur la répression musclée de ces passions funestes. Ainsi, la neurologie pourrait-elle faire mieux que Marx et Lénine réunis ! L’avenir nous dira si l’auteur avait raison. En tout cas, son livre mérite attention, ne serait-ce que pour nous permettre de réfléchir...

b) En même temps, Jean-Claude Angoulvant nous propose des extraits d’un texte de André Conte-Sponville, paru dans Challenge . La « crise écologique » que nous vivons actuellement dépend de deux facteurs : la poussée démographique, d’un côté, la croissance économique de l’autre. Et ces facteurs, nous ne pouvons pas ou peu les contrôler, parce qu’ils nous inondent de récompenses agréables dont nous ne voudrions pas nous priver.

Que faire alors ? l’auteur est plutôt modeste dans ses propositions : informer, expliquer, décider ; responsabiliser les individus, sans trop les culpabiliser ; aider les pays dont la population s’accroît à faire à leur tour leur « transition démographique » (le passage à deux enfants par femme)... Nous sommes en plein malthusianisme !

Or justement, Malthus s’est trompé : il ne croyait pas les îles Britanniques capables de nourrir plus d’une vingtaine de millions de personnes. Il y en a maintenant 4 fois plus, et il n’y a toujours pas de famine !

Comme on le sait, la principale erreur de Malthus est d’avoir négligé les conséquences du progrès technique. Conte-Sponville , sans le dire, admet l’objection, puisqu’il recommande aussi de développer les sciences et les techniques, au lieu de les diaboliser. Il aurait aussi pu ajouter que tous les démographes sont d’accord sur l’idée que le meilleure façon d’obtenir la « transition démographique » est d’enrichir les pauvres....

III - Les récents déjeuners

En Mars, l’historien J.C. Hazera est venu nous parler de « comment meurent les démocraties ». Il a opposé la situation présente du « populisme » à celle que l’on pouvait observer du temps de Hitler, Mussolini et la « grande crise ».
En Avril, Christian Gérondeau (ancien délégué à la sécurité routière) nous a entretenu du réchauffement climatique (sur lequel il est assez sceptique) et de ses conséquences. Les « 80 kmh » n’ont pas manqué de s’inviter au débat.
En Mai, nous avons entendu Odon Vallet, l’un des auteurs d’un leg important à une association qui se propose de former des jeunes gens du Bénin et du Viet Nam. Il nous a fait part de son expérience en la matière, de la situation religieuse du Benin, et aussi de la démographie (lors d’un sondage auprès des jeunes, les garçons souhaitent avoir 13 enfants, et les filles seulement 7)... *
Enfin, en Octobre, nous avons entendu Christian Lévêque, dont les recherches en sciences écologiques aboutissent à des conclusions assez éloignées de celles des écologistes politiques, comme indiqué plus haut....

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