Les éléments d’un contrat social rénové

Le troisième volet de notre site analyse, successivement, l’éducation, l’emploi, les retraites et la santé. Cette introduction tente une synthèse de ces quatre chapitres et les affirmations appuyées qu’elle contient se réfèrent aux faits qu’ils évoquent. Les dépenses collectives ont fortement progressé en France, avant tout en raison de l’accroissement des prestations sociales : éducation et aide au logement comprises, elles absorbent, en chiffres ronds, 40 % du produit national.

La nécessité d’une solide protection était devenue criante pendant les années trente et la crise économique qui les a marquées, mais il avait fallu attendre la Libération pour que fût édifié notre large système collectif, l’état-providence. En couvrant le risque du chômage, en finançant les dépenses de santé et les retraites et en assurant une éducation poussée, la société française entendait prévenir les injustices et les affrontements qui avaient ensanglanté son histoire. Mais, après avoir fait progresser l’état de santé de la population comme son niveau d’éducation et fortement diminuer le nombre de personnes âgées sans ressources, l’état-providence a failli. Il n’a pas permis de résorber l’exclusion. Pire : il a favorisé son extension. La pauvreté a cessé de reculer.

François Mitterrand et Jacques Chirac, dans leurs campagnes électorales de 1 981 et 1 995 avaient manifesté des réticences à l’égard de l’Europe. Élus, ils en ont accepté les disciplines sans expliquer les raisons de leur changement d’attitude. Certes, l’ouverture sur l’Europe et sur un monde très concurrentiel a eu des effets très positifs ; le produit national s’est accru et l’inflation a disparu. Le secteur privé a dû s’adapter. Durement. Les relations d’emploi ont été fragilisées ; le travail non qualifié a subi une réduction massive ; l’ascension sociale a été ralentie ; le chômage de longue durée s’est développé.

Les hommes qui nous ont gouvernés, tous anciens fonctionnaires ou quasiment, trop homogènes par leur formation et leurs parcours, n’ont eu ni la créativité ni le courage voulus pour conformer le secteur public à notre époque. L’éducation nationale a, au sein du collège unique, gardé un modèle conçu pour les classes bourgeoises. Elle a laissé sortir des écoles, quasiment illettrés, quelque 10 % des élèves. Elle a continué à négliger la formation professionnelle et n’a pas pris à bras le corps la formation continue, nécessité absolue de notre époque. Ces lacunes ont fortement contribué au chômage massif et à l’exclusion sociale des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Au lieu de remédier aux causes, une multitude de mesures en faveur de l’emploi furent prises qui ont été aussi coûteuses qu’inefficaces. Favorables à ceux qui disposaient d’un statut, elles ont, elles aussi, contribué à l’exclusion.

Autre grand phénomène du demi-siècle écoulé : le formidable effet d’accordéon de notre démographie. Le baby boom, complété dans les années cinquante et soixante par l’immigration, a accru la population active. La vie humaine s’allongeant de façon continue, les retraites à servir vont, dans les premières années du siècle, s’accroître énormément au moment où la population active plafonnera puis déclinera. Or, pendant la période de vaches grasses, nous n’avons pas su, au sein de systèmes de capitalisation, constituer des réserves collectives pour préparer la phase de vaches maigres. L’épargne française, très abondante, a servi à financer des déficits résultant de la mauvaise gestion d’un secteur public qui ne s’est pas réformé. Pendant ce temps, les fonds de pension anglo-saxons ont pris des positions de contrôle dans maintes de nos grandes firmes. Vieillissante, la population française est dotée d’un système de retraite qui, révisé dans le secteur privé, a été laissé à l’abandon dans le secteur public et d’un système de santé onéreux et dont l’organisation et les coûts ne sont pas maîtrisés.

Les hôpitaux et les écoles comme les quartiers difficiles souffrent d’un même mal : ce centralisme auquel les jacobins qui nous dirigent sont trop habitués. Cette pratique, l’avalanche de lois et de circulaires ainsi que le statut de la fonction publique paralysent la gestion des unités à taille humaine. Leurs responsables n’ont aucune maîtrise du personnel qu’ils dirigent. Le développement d’une médecine où les spécialistes, mieux rémunérés, ont pris le pas sur les généralistes est allé de pair avec un relèvement du ticket modérateur qui, jusqu’à l’instauration de la Cmu, avait quasiment exclu certains patients de l’accès aux soins. Des gestions centralisées ne peuvent résoudre les problèmes que les usagers ou résidents posent et, avec les carences de l’école, c’est, à nos yeux la véritable cause de la délinquance des mineurs. « L’état, loin de contribuer à la constitution du lien social, participe aujourd’hui à son éclatement, en creusant les inégalités entre les revenus et les statuts. » ([1])

Faute de moderniser ses modes de gestion notre état est le seul en Europe a ne pas avoir su réduire de façon significative les dépenses collectives en proportion du Pib. Le coût d’un système qui utilise mal les compétences de ses agents et répartit mal les moyens — pénuries et gaspillages coexistent — est prohibitif. L’état-providence a réduit la fraction des Français au travail à moins de 40 % de la population, un quart de celle-ci relevant du secteur public. Notre énorme machine sociale repose sur un secteur productif trop étroit, notre compétitivité s’affaiblit et nos positions dans internationales reculent.

L’état s’est enlisé dans une gestion au jour le jour autocratique sans remettre en cause ni, qu’il s’agisse de l’éducation, des retraites ou de la médecine, les finalités des interventions ni les modes de gestion. Comment ne pas voir dans ces comportements le corollaire de la fermeture progressive mais accentuée du cercle de ceux qui nous gouvernent ? à notre sens, les citoyens ne sont pas assez appelés à participer à la gestion des écoles, des hôpitaux ou des institutions de retraite et nous entendons par là, non seulement une présence insuffisante dans les organes de gestion mais aussi dans les actions sur le terrain.

 

Prestations sociales en 1997 ([2]) milliards FF % Pib
Emploi

Santé

Retraites & vieillesse

Allocations familiales

Sous total

Dépenses d’éducation

Total

320

800

1040

365

2525

592

3117

3,9

9,8

12,8

4,7

31,2

7,3

38,5

Les éléments d’un contrat social rénové :

31 – Un système d’éducation à renouveler

32 – Enseignement supérieur et recherche

33 – Réduire le chômage ou développer l’emploi

34 – Pour un nouveau système de retraites

35 – Santé providence ou santé publique ?

36 – Justice et sécurité

37 – Une société divisée et affaiblie

[1] Roger Fauroux et alii, Notre état, Robert Laffont, 2001.

[2] France, portrait social, INSEE, 1 998. La rubrique emploi inclut les allocations chômages et les aides à l’emploi.


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